Par Terre de Liens
Baisse des rendements importants, aides au maintien supprimées, retard des paiements PAC, encouragement à la confusion des labels, Mercosur… Si la crise touche l’ensemble du monde agricole, elle est particulièrement violente pour les agriculteurs et les agricultrices qui ont fait le choix du bio. Alors que les déconversions se multiplient, Terre de Liens appelle le gouvernement à un sursaut. Par leurs pratiques, les agriculteurs bio rendent de nombreux services à la société et à l’environnement. Ils sont pourtant délaissés faute de volonté politique pour défendre la pérennité de leurs fermes.
“Je produis du lait bio mais pour vivre, je le vends en conventionnel. On marche sur la tête. Dans ces manifestations, il n’y a rien eu pour le bio alors qu’on s’est mobilisés. Beaucoup d’agriculteurs bio font marche arrière.” résume Étienne Christoffel, éleveur de vaches laitières et producteur de céréales à Boofzheim (Bas-Rhin).
Voilà à quoi en sont réduits les agriculteurs·trices qui ont fait le choix du bio, non seulement par opportunité mais par conviction : vendre en conventionnel, une production qui répond à l’exigence du cahier des charges de la bio pour espérer des prix rémunérateurs. Parce qu’à un moment il faut vivre, malgré les aléas et l’absence de soutien politique affirmé.
En 2023 et 2024, la filière bio a connu une crise sans précédent. Les acteurs du bio ont chiffré les pertes à 550 millions d’euros. Rien qu’en 2024, en céréales, les agriculteurs·trices ont connu des pertes de 54% en blé bio. Pour tenir, les déconversions se multiplient. A tel point qu’en 2023, la surface agricole utile en bio a perdu 54 000 hectares, passant de 10,5 à 10,4% des surfaces agricoles françaises.
Baisse des rendements et crise de la demande, une absence de vision
Si la crise de la demande est avérée, Terre de Liens dénonce aujourd’hui l’absence de soutien structurel des pouvoirs publics pour traverser la crise.
“Il y a un manque de soutien évident de la part des pouvoirs publics, qui se refusent à développer des aides au maintien ou à faire respecter les objectifs de la loi Egalim, comme celui de 20% de bio dans les cantines. Ajoutez à cela, la stratégie de mise en concurrence avec de nouveaux labels nettement moins exigeants et parfois à la limite du green-washing, tels « HVE » (Haute Valeur Environnementale) ou “Sans pesticides de la fleur à l’assiette », c’est le mode d’emploi parfait pour condamner la filière bio” explique Astrid Bouchedor, responsable de plaidoyer de Terre de Liens.
Sans vision, les agriculteurs bio sont livrés aux aléas du marché.
“S’il y avait un suivi des lois Egalim, nous ne serions pas en surproduction de 20 % en lait bio ! Avec les déconversions, il est possible que dans deux, trois ans il y ait un manque de lait bio” déplore Samuel Servel, éleveur de vaches laitières à Kergrist dans le Morbihan.
Suppression des aides au maintien, une condamnation de la filière bio
Alors que la filière traverse une crise sans précédent, l’absurdité a atteint son paroxysme en 2023 avec la suppression des aides au maintien au profit d’un renforcement des aides à la conversion.
“Pour faire face à la multiplication des déconversions et aider ceux qui tiennent, les aides au maintien sont essentielles et permettent aux agriculteurs de se projeter contrairement aux fonds d’urgence au coup par coup. Les supprimer en 2023 alors que la filière connaissait déjà des difficultés a été une erreur fondamentale”, affirme Astrid Bouchedor.
“On ne se sent pas beaucoup soutenu. Les aides au maintien en bio ont été supprimées et remplacées par des aides bien moins importantes. Et le reste des aides s’arrêtent au bout de cinq ans après une installation. Sans soutien massif, je ne sais pas si l’agriculture biologique va survivre” résume Samuel Servel.
Inflation, Mercosur, retard des aides PAC, les bio aussi en payent le prix fort
“Avant un tracteur on le payait 70 000 euros, aujourd’hui ils sont à plus de 100 000 euros. Les heures des techniciens de maintenance ont considérablement augmenté, on ne peut plus réparer seuls les tracteurs.” indique Etienne Christoffel
Si les agriculteurs bio développent des stratégies pour limiter leurs intrants et leur dépendance aux marchés, ils n’en restent pas moins touchés par l’inflation qui frappe les exploitations depuis 2 ans. Pour faire face, tous attendent comme leurs collègues en conventionnel les aides PAC censées apporter une respiration dans des bilans comptables plombés. Mais là encore, les bios ont souffert d’un régime de défaveur avéré. Derniers servis des aides de la PAC l’été dernier, ils sont aussi les victimes d’un système qui a réduit à néant la conditionnalité environnementale de la PAC. Autrement dit, alors qu’ils rendent des services environnementaux nettement supérieurs, ils n’en tirent aucun bénéfice.
Aujourd’hui, avec la perspective du Mercosur, les éleveurs particulièrement en difficulté redoutent une nouvelle casse vers les prix bas, très peu favorables à la compétitivité du bio. En début d’été, les partis qui forment aujourd’hui le gouvernement Barnier ont appuyé, avec le blanc-seing de la FNSEA, l’accord avec la Nouvelle-Zélande qui impacte les producteurs laitiers. Rien ne laisse alors présager que les accords de libre-échange vont être véritablement stoppés.
Dans les fermes bio, l’atmosphère est amère face aux nouvelles manifestations qui s’annoncent :
“Les syndicats attaquent les normes environnementales alors que cela n’a rien à voir avec nos revenus. J’ai été écœuré en début d’année”, conclut Samuel Servel.
“On ne manifestera pas, on n’est pas la FNSEA” ajoutent Isabelle et David Ledig, éleveurs et producteurs de céréales à Francheville (Meurthe et Moselle).
Terre de Liens appelle le gouvernement Barnier a prendre la mesure du ras-le-bol qui s’exprime dans les fermes, bien au-delà des tractations pré-élections professionnelles des Chambres d’agriculture en janvier 2025.
Il n’y a pas une agriculture française face au reste du monde. Il y a des agricultures qui réclament une reconnaissance et une vision pour continuer à nourrir les Francais·e·s.