sam. Déc 21st, 2024

2000 ANS D’HISTOIRE

Le Cabernet franc dans la Loire est issu d’une histoire très ancienne que les vignerons et les vigneronnes du Val de Loire avaient envie de raconter. En s’associant aujourd’hui, les neuf appellations principales de vin rouge du Val de Loire qui produisent du Cabernet franc, portent une volonté commune : affirmer leur fierté de travailler cette noble matière, ce cépage extraordinaire qui a voyagé au cours des siècles et s’est adapté, pour trouver une forme d’expression bien à lui en Val de Loire.

Le Cabernet franc est ici dans la zone de production la plus septentrionale de France.
Il est majoritairement utilisé en mono-cépage dans les vins du Val de Loire, ce qui lui confère un caractère reconnaissable où sa force et sa fraîcheur sont à l’équilibre, sa souplesse, toujours appréciée. Le Cabernet franc est l’interprète exigeant des terroirs de la Loire.

 

Le Cabernet franc

Son origine est antérieure à la constitution du vignoble de Bordeaux et il faut aller la chercher du
côté espagnol pour la retrouver.
L’histoire de l’introduction des cépages dans les régions françaises est complexe, mais plusieurs chercheurs s’accordent sur le fait que le Cabernet franc proviendrait d’une plante plus ancienne du nom de Biturica, dont l’origine est mal connue.
On la suppose cependant venue d’Espagne après une période d’acclimatation :
« L’hypothèse selon laquelle l’apparition de la vigne Biturica résulterait d’un effort fait en vue d’implanter sur la côte nord de l’Espagne une viticulture jusque-là méditerranéenne et confinée dans le bassin de l’Ebre peut ainsi s’appuyer sur de sérieux arguments. » 2.

Après son adaptation au nord de l’Espagne, Biturica serait arrivée en Aquitaine. Le Cabernet franc « pourrait être sous un nom différent, un descendant de l’antique Biturica » 3 . L’origine pyrénéenne allait en effet fournir des plantes adaptées au climat humide.
Des formes proches de Cabernet franc existent depuis très longtemps au pays basque espagnol dans le vignoble de Txakoli, qui sont le Morenoaet le Txakoli noir. En langue basque, ils sont appelés Ondarrabi beltza ce qui veut dire « noir de Fontarabie » 4.

Des formes proches de Cabernet franc existent depuis très longtemps au pays basque espagnol.

 

Avant d’arriver dans le pays basque, le Biturica était-il d’origine grecque ?

 

Nous savons que la vigne a été introduite en France par les grecs de Phocée six siècles avant JC, dans la région appelée Narbonnaise, aussi est-il légitime de s’interroger sur la provenance originelle du Biturica.

Plusieurs scientifiques rapprochent le Biturica au nom de Balisca ou Basilica, un cépage cultivé en Epire, une région du Nord de la Grèce.
En réalité, de récentes études génétiques, grâce à l’outil moléculaire, permettent aujourd’hui de démontrer la proximité du Cabernet franc et de ses descendants (Cabernet Sauvignon, Merlot, Carmenère) avec le fond génétique des Pyrénées basques et de Navarre 5 6 7 . Grâce à différents
marqueurs appliqués au Cabernet franc et à ceux du Txakoli noir et du Morenoa, les profils génétiques montrent une réelle proximité entre eux, avec un grand nombre d’allèles en commun qui pourraient être des descendants ou une sélection de Biturica.

 

Nous savons que la vigne a été introduite en France par les grecs de Phocée six siècles avant JC

 

Un peuple de « Loire » développe l’encépagement du Biturica à Bordeaux

 

Les Bituriges sont un peuple de la Gaule qui contrôlait autrefois le trafic de l’étain et la circulation des marchandises entre une partie de la Loire et le Rhône.
Le territoire de ce peuple était conséquent puisqu’il couvrait les départements actuels du Cher et de l’Indre, remontait jusqu’à Sancerre au Nord, contrôlait une partie de la Loire et de l’Allier, et à l’Ouest s’étirait jusqu’à la frontière avec Touraine et celle avec le Poitou 8. Leur capitale était la ville de Bourges.

Lors de la Guerre des Gaules, les Bituriges s’associent à Vercingétorix en 52 avant JC et se battent contre les romains, à Alésia. César gagne la bataille et déporte les Bituriges qui avaient pris part au combat, dans la région de Bordeaux. Les Bituriges prennent alors le nom de Bituriges Vivisques et fondent la ville de Burdigalia (Bordeaux).

La première mention de leur installation dans cette région est signalée chez le géographe Strabon9 à la transition entre le Ier siècle avant JC et le Ier siècle après JC. Les Bituriges construisent des relations commerciales fortes avec les Basques et Aquitains qui vivent dans la région basque des Pyrénées : « Les trouvailles archéologiques préromaines indiquent en effet chez eux un commerce plus actif, et plus d’ouvertures sur le dehors que n’en avaient les autres peuples du bassin de la Garonne »10.
Il semble que les Bituriges aient cherché à proximité de leur nouvelle région et dans un climat semblable, des plantes adaptables pour produire leur vin localement : « Ils ont introduit des vignes en abondance de cette zone, pour cultiver eux-mêmes et produire leur propre vin »11. A la même époque, Pline l’ancien (23-39 après JC) et Columelle12 l’agronome romain, mentionnent le peuple des Bituriges13 , et font aussi référence à un cépage nouvellement ajouté à la nomenclature romaine des cépages : le « Biturica » ou « Biturigiaca ».

 

Les Bituriges construisent des relations commerciales fortes avec les Basques et Aquitains qui vivent dans la région basque des Pyrénées.

 

 

De Bordeaux en Val de Loire

Si l’on se fie aux textes anciens, la présence de la culture de la vigne en Val de Loire n’est mentionnée qu’à partir du VIème siècle14 . Cependant, les différentes recherches archéologiques faites en Loire-Atlantique, à Piriac 15 et dans la vallée de la Loire 16 , montrent des témoignages de viticulture et de production de vin, en particulier à Chênehutte-les-tuffeaux17 (appellation Anjou), Saint-Patrice (appellation Bourgueil), Crouzilles (appellation Chinon), et à Thésée (appellation Touraine). Les datations des archéologues sont aujourd’hui données : entre le Ier siècle et le IIIème siècle après JC, il existait bien une production de vin en Val de Loire.

Ces vignobles du Val de Loire sont donc antiques, d’origine gallo-romaine. Cependant, ces recherches archéologiques ne disent pas s’il s’agissait déjà de plantation du cépage Cabernet franc ou Biturica qui serait remonté depuis Bordeaux ! L’argument avancé concernant la présence du Cabernet franc en Val de Loire est généralement mis sur le compte des puissantes alliances commerciales qu’il y avait entre les bordelais et les bretons, particulièrement au Moyen-âge. Les navigateurs bretons transportaient de nombreuses marchandises depuis l’estuaire de la Gironde aux portes de la Loire : « Il ne serait pas étonnant qu’en ce cas en bien d’autres du même genre, les transplantations de cépages eussent suivi l’exportation du vin »18.

En 1055, le Comte d’Anjou sollicite des religieuses de l’abbaye du Ronceray d’Angers, la cession d’une terre proche de la confluence de la Loire et de la Maine, où il déclare vouloir planter une vigne dont il dit qu’elle sera formée du plant bordelais. Si nombre de spécialistes ont interprété « Plant de Bordeaux » comme du Cabernet franc, aucun texte historique ne confirme cette thèse et rien ne dit qu’il s’agisse de Cabernet franc. Il est en effet possible que ce fut
un autre plant.

La présence de « vignes bordelaises » est en effet attestée pour la première fois par écrit, dans le proche Anjou, dès le XIème siècle sous la dénomination de « Plant de Bordeaux ».

Le Cabernet franc est appelé « Breton » en Val de Loire

 

En Anjou-Touraine, le nom « vin breton » ou « plant breton » est d’un usage courant pour désigner le
Cabernet franc.
Le penseur et écrivain François Rabelais (1494- 1553) le mentionne pour la première fois dans son roman Gargantua écrit en 1534 : « J’entends de ce bon vin breton, lequel poinct ne croist en Bretaigne mais en ce bon pays de Verron »19. Le Véron est un territoire qui fait partie de l’appellation Chinon.
Plusieurs théories sont invoquées pour justifier de ce nom, mais la plus vraisemblable vient du fait
que les noms des vins étaient souvent issus du lieu du commerce. Le Breton ou Berton serait appelé ainsi parce que c’est à Nantes ou dans les ports voisins que sont allés le chercher les vignerons et les vigneronnes du Val de Loire20 : « Le nom breton relève de la pratique des désignations fondées sur le toponyme du lieu d’approvisionnement. Dans ce cas, breton n’est pas un gentilé, les vignes ne sont pas bretonnes ; ce sont des marchands bretonsqui assuraient l’approvisionnement en vins et en plants dans des ports à Nantes et ses environs… »21.
Une autre théorie met en avant que le lieu d’approvisionnement des plants de Cabernet franc, était le port de Capbreton, à l’embouchure de l’Adour dans les Landes.2

 

Pour les ampélographes, l’identité Breton-Cabernet franc ne fait aucun doute.

 

Du Moyen-âge au XVIIème siècle, l’enracinement du Cabernet franc :

 

Les spécialistes s’accordent sur le fait que le Cabernet franc est, depuis le Moyen-âge, une des bases de la production de vin rouge24 , même si les surfaces restent modestes.
Les documents séculaires énoncent peu les cépages, ni même la couleur du vin, aussi il est difficile de mesurer raisonnablement l’implantation de ce cépage. Toutefois, le Moyen-âge est la période où la viticulture monastique avec le développement du christianisme et conjointement celui de la viticulture princière d’une part, puis la viticulture attachée aux châteaux26 d’autre part, ont participé à l’expansion de la viticulture en général et ipso facto, à l’enracinement du Cabernet franc.

La Vallée de la Loire avec la présence des familles royales sur de longues périodes historiques, ses nombreux châteaux et abbayes, ont favorisé la culture de la vigne en s’appuyant sur une position géographique avantageuse grâce aux connexions commerciales de la Loire et de ses affluents, à l’océan Atlantique. Cela permettait aux grands marchands du Nord – Angleterre et Flandres – devenir s’approvisionner facilement en vin. D’ailleurs, le premier acte écrit, relatif à l’exportation des vins dans les ports d’Outre-Manche, date de 1154 et il est signé en Anjou : il mentionne « les vins d’Anjou ».

Au début du XVIIème siècle, le Cardinal de Richelieu aurait lui-même accéléré le développement du Cabernet franc en Vallée de la Loire en demandant à la région bordelaise, l’envoi en nombre de milliers de greffons pour replanter la région en particulier à Fontevraud, Chinon et Saint-Nicolas de Bourgueil.

Le Cardinal de Richelieu aurait lui-même accéléré le développement du Cabernet franc en Vallée de la Loire.

 

 

Le Cabernet franc dans le monde 27

Le Cabernet franc en France 28

Le Cabernet franc dans
les appellations du Val de Loire

Au fil de la Loire, d’amont en aval, le Cabernet franc
dans les appellations du Val de Loire

 

++

2 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème s, p 124, Paris, CNRS Editions, 2010 [© Roger Dion 1959].
3 id, p 160.
4 Louis Bordenave, Cabernet franc, p 8, Collection de l’ampélologue, Editions Féret, 2016

5 T. Lacombe, article Contribution à l’étude de l’histoire évolutive de la vigne cultivée vitis vinifera L. par l’analyse de la diversité génétique neutre et de gènes d’intérêt,
2012
6 J.M Boursiquot, article Parentage of Merlot and related winegrape cultivars of southwestern of France, Australian Journal, 2008
7 Les références scientifiques 9 et 10 sont citées par Louis Bordenave, Cabernet franc, p 9, Collection de l’ampélologue, Editions Féret, 2016

8 Christophe Batardy, « Le Berry antique – De la carte au modèle-chorème », Revue archéologique du Centre de la France, t. 43, 2004, p. 253-258 (ISSN 1951-6207)
9 Strabon, Géographie, IV, 2, 1
10 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème s, p 122, Paris, CNRS Editions, 2010 [© Roger Dion 1959].
11 Louis Bordenave, Cabernet franc, p 7, Collection de l’ampélologue, Editions Féret, 2016
12 Columelle, RR, III,2,19
13 Pline, Histoire Naturelle, IV, 108

14 Grégoire de Tours, Histoire des Francs, VI, 44 et IX, 17
15 Guy Saindrenan, La vigne et le vin en Bretagne, Chronique des vignobles armoricains, Origines, activité, disparitions et réussites du Finistère au Pays nantais, p 40, éditions
Coop Breizh, 2011
16 Alain Ferdière, La viticulture romaine, Université de Tours, UMR 7324 Citeres-lat, 2007 in Atlas archéologique de Touraine, Elisabeth Zadora-Rio, 2007
17 Samuel Leturcq, Benoît Musset. La viticulture en Anjou et en Touraine, de l’Antiquité au XIXe siècle. Une histoire de vignerons. Christian Asselin; Pascal Girault. Le Val de Loire,
terre de chenin, Lescaves se rebiffent, pp.24-29, 2017, 978-2-9560094-1-2. hal-01967325
18 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème s, p 160 Paris, CNRS Editions, 2010 [© Roger Dion 1959].

19 François Rabelais, Gargantua, p222 dans Rabelais, Les Cinq livres des faits et dits de Gargantua et Pantagruel, Edition intégrale bilingue, Marie-Madelaine Fragonard,
Edition Quarto Gallimard, 2017.
20 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème s, p 159 Paris, CNRS Editions, 2010 [© Roger Dion 1959].
21 Henri Galinié, Les façons de différencier et de nommer vignes et plants (1050-1850), Recherches sur l’histoire des cépages, 13. 2019. halshs-02106540.
22 Guy Lavignac, cité par Louis Bordenave, Cabernet franc, p 5, Collection de l’ampélologue, Editions Féret, 2016.

24 Louis Bordenave, Cabernet franc, p 14, Collection de l’ampélologue, Editions Féret, 2016.
25 Matthieu Lecoutre, Atlas historique du vin en France, de l’antiquité à nos jours, p22, Editions Autrement, 2019.
26 Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème s, p 186 à 193 Paris, CNRS Editions, 2010 [© Roger Dion 1959]

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *