Le monde s’est adapté à la discontinuité des flux d’exportations de la mer Noire qui continuent de régir les échanges. Les disponibilités en blé des exportateurs se dégradent et sont mal réparties géographiquement, ce qui amplifie les risques en cas d’aggravation des tensions géopolitiques.

 

« La Russie a renforcé sa place sur l’échiquier mondial du blé. Par nécessité, les importateurs sont de plus en plus dépendants des flux de la mer Noire, ce qui constitue un risque d’approvisionnement majeur. La fragilité des disponibilités mondiales de blé, les aléas climatiques et l’instabilité géopolitique contribuent à la forte volatilité des cours du blé » explique Alexandre Marie, analyste en chef d’Argus Media France.

 

 

Une récolte française moyenne qui doit encore trouver sa place à l’export

Dans l’Hexagone, la récolte 2023 de blé tendre s’élève à 34,8 millions de tonnes (Mt), contre 33,7 Mt l’an dernier. Cette récolte dépasse tout juste la moyenne, pourtant un important volume devra être exporté cette année face à une demande domestique qui baisse en tendance. Ainsi, 17 Mt de blé français devront trouver leur place à l’export. « Vers l’Union européenne le débouché potentiel est estimé à 7,5 Mt, porté par une hausse de la demande espagnole et des pays du nord de l’Europe qui ont subi des aléas climatiques », précise Alexandre Marie. Toutefois, la marge de manœuvre sera réduite compte tenu d’importants stocks européens et du flux des céréales ukrainiennes sur le marché communautaire. Vers les pays-tiers, la France devrait exporter 9,5 Mt mais elle est davantage concurrencée sur ses marchés historiques du Maghreb par l’origine mer Noire, face à laquelle le blé français devra rester compétitif tout au long de la campagne. L’export vers la Chine fait partie des solutions possibles avec un débouché moyen de 11 Mt/an depuis 3 ans, dont 2 Mt pour la France.

Dépendance mondiale aux exportations de la mer Noire

L’origine mer Noire concentre près de 40 % des échanges mondiaux de blé, une tendance qui semble se renforcer malgré le conflit russo-ukrainien, du fait de prix compétitifs. Actuellement, la Russie domine les échanges. Sa récolte 2023 de blé tendre, très correcte à près de 88 Mt, s’ajoute à un surplus de stock de 10 Mt issu de la récolte record de 2022. Au final, la Russie pourrait réaliser un nouveau record d’exportation de 49 Mt contre 48,1 Mt l’an dernier. La part de marché de la Russie approcherait alors, pour la première fois, un quart du commerce mondial. Malgré la fermeture du corridor maritime de la mer Noire, les autres flux ukrainiens fonctionnent par les voies terrestre (route et chemin de fer : 0,35 Mt/mois) et fluviale (1,3 Mt/mois). L’évolution des exportations ukrainiennes reste soumise au futur du « grain deal » – l’accord commercial qui s’est éteint le 17 juillet – et à l’arrêt des destructions dans les ports ukrainiens et fluviaux. « Actuellement, le commerce mondial du blé est timide du fait de prix élevés et des difficultés financières des pays importateurs. Toutefois, le risque géopolitique demeure : toute défaillance logistique majeure aura des conséquences sur les prix et la sécurité alimentaire mondiale », rappelle Alexandre Marie.

Peu de réserves exportables

Face aux risques climatiques, l’offre des grands exportateurs est fragile. L’Amérique du nord aura des disponibilités réduites en raison d’aléas climatiques. Dans l’hémisphère sud, l’offre australienne et argentine s’effrite (déficit hydrique). « Selon nos estimations, les 8 principaux exportateurs voient leur production réduite à 374,7 Mt pour 2023-2024, soit une baisse de 23 Mt par rapport à l’an dernier, ce qui ne laisse pas de marge de manœuvre en cas de nouvelles contraintes climatiques ou géopolitiques qui affecteraient les exportations », précise Alexandre Marie. À court-terme, le marché mondial du blé est bien approvisionné mais les stocks tendus chez les grands exportateurs vont réduire les disponibilités de la seconde partie de campagne. La lourdeur qui revient sur le marché mondial du maïs devrait toutefois tempérer le regain de tension sur le blé.

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