À la veille de l’ouverture du Salon de l’Agriculture où tous les regards se tournent vers cette activité et ses acteurs, la chaire Digitalisation et innovation dans les organisations et les territoires de l’EM Normandie va publier le 16 février 2023 une étude intitulée « L’agriculture, maillon faible de la digitalisation ? ». Selon cette étude, il semblerait qu’il y ait un gap entre la vision d’une agriculture hyper-digitalisée et la réalité́, qui ne semble pas aussi avancée. Les enseignants chercheurs de l’EM Normandie analysent les causes de ce retard et proposent une série de pistes à explorer pour combler cette différence.
 
Pour Mathilde Aubry, professeure en économie et responsable de la chaire, « un travail de recherche préalable sur la digitalisation de l’économie nous a permis de remarquer que les chiffres pour le secteur agricole étaient très différents de ceux des autres secteurs. Nous avons voulu en savoir plus et avons donc monté une équipe de travail pluridisciplinaire afin de mieux comprendre les spécificités du processus de digitalisation du secteur agricole. Nous nous réjouissons de pouvoir présenter au public les résultats de cette étude à la veille étude du salon de l’agriculture ». Hasard du calendrier, le Programme et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) sur l’agroécologie et le numérique a été lancé officiellement par les ministères en charge de la Recherche, de l’Agriculture, de la Transition numérique au début du mois de janvier.
 
Alors que la digitalisation du monde agricole est présentée dans les discours institutionnels comme la solution miracle pour produire davantage afin de nourrir une population grandissante tout en respectant des critères environnementaux, l’agriculture apparaît comme le maillon faible de la digitalisation. Ce secteur se digitalise lentement mais ne transforme pas ses modèles d’affaires.
 
Au-delà de cette première conclusion, l’étude montre que l’usage des technologies numériques varie fortement selon le type d’activités : la production végétale (culture) est la plus équipée en outils numériques, tandis que l’élevage est à la traîne. 
 
Comment expliquer ce retard relatif (comparé aux autres secteurs économiques) ?
Tout d’abord, trop d’offre tue l’offre. Parmi une kyrielle d’outils proposés par les startups, les équipementiers, les prestataires, les coopératives, l’agriculteur ne sait pas lesquels choisir, ni à qui accorder sa confiance.
 
Ensuite, les datas produites échappent aux agriculteurs. Elles sont aspirées par les outils numériques, et les données dont ils disposent ne sont pas toujours pertinentes pour leur travail. La diversité́ des exploitations, du fait de leur production, de leur taille et de leur territoire, rend peu intéressantes les analyses globales.
 
Enfin, on observe un effet charge mentale : il n’y a pas d’interconnexion des outils, leur multiplication complexifie la vie des agriculteurs au lieu de la simplifier. 
 
Conclure que le secteur agricole délaisse la digitalisation et ne se modernise pas serait une erreur. Au contraire, l’offre dans le domaine est pléthorique pour être à la hauteur des enjeux auxquels doit faire face le secteur. Le problème se situe justement ici : les agriculteurs rencontrent une surabondance d’outils qui ne correspondent pas toujours à leur réalité́, à leurs besoins. Cela retarde la transformation numérique d’un secteur au centre des réflexions sociétales que nous connaissons.  

 
Comment corriger le tir ?

L’enjeu d’une digitalisation réussie n’est pas seulement d’introduire les outils digitaux pour, par exemple, automatiser les pratiques de production ou de gestion : il faut aussi repenser l’organisation et la stratégie de l’entité́ agricole. 
 
Pour les agriculteurs interrogés dans le cadre de ce travail de recherche, la transformation numérique doit donner lieu à des améliorations et des innovations permettant alors de modifier en profondeur non seulement les méthodes de production, mais aussi les modes de communication et de gestion de l’entreprise. Pour cela, elle doit également être le fruit de projets réfléchis, cohérents, et non de décisions au coup par coup. Les agriculteurs doivent aussi être replacés au centre des dispositifs d’innovation par ceux qui les conçoivent.
 
Il faudrait tout d’abord adapter les outils à la diversité des exploitations agricoles (taille, type de production, etc.). Par ailleurs, ces outils se concentrent sur la production mais ignorent la variété des tâches que doivent mener à bien les agriculteurs (RH, approvisionnement, gestion comptable, approvisionnement…). 
 

Enfin, deux éléments cruciaux : 

•          les agriculteurs sont aussi des chefs d’entreprise qui ont besoin de pouvoir s’appuyer sur un réseau professionnel solide et constructif afin d’être accompagnés dans les choix des outils pertinents pour eux et dans leur utilisation ;
•          les politiques publiques doivent également être revues en ciblant davantage les subventions vers des agriculteurs qui favorisent à la fois la transition agroécologique et entrepreneuriale. 
 
Menée conjointement par 5 enseignants-chercheurs de l’EM Normandie (Mathilde Aubry, responsable de la chaire, Zouhour Ban Hamadi, Roland Condor, Nazik Fadil et Christine Fournès), ce travail a porté sur un panel de 213 exploitations agricoles de moins de 10 salariés.
 

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