Entre l’influence du changement climatique perceptible et la politique agricole nationale et européenne en pleine mutation, les entreprises projettent de réaliser des investissements. 

 

Dr. Lothar Hövelmann, directeur général de la DLG (Association d’Agriculture Allemande), Francfort sur le Main

La DLG (Deutsche Landwirtschafts-Gesellschaft – Société Allemande de l’Agriculture) invite le secteur agricole international du 12 au 18 novembre 2023 à Hanovre, en Allemagne, à l’Agritechnica, 1er salon mondial du machinisme agricole. Pour la première fois depuis la pandémie de coronavirus, le salon Agritechnica est organisé à nouveau en physique. Il accueille plus de 2 600 exposants venant de 53 pays. Comme lors de la dernière édition en 2019, un vaste programme d’expositions est prévu. Mais le contexte reste compliqué pour le secteur : les impacts de la guerre de la Russie en Ukraine constituent également un tournant historique pour l’agriculture globale et tous les fabricants de matériels agricoles. Les impacts du changement climatique deviennent de plus en plus perceptibles avec les futurs changements dus à  la politique agricole, la réforme de la PAC et le Green Deal qui se profilent et la situation sur les marchés financiers – en particulier la politique des taux d’intérêt – qui ne facilitent pas la  planification des investissements.

Renforcement de l’influence du climat

Au cours des dernières années, le nombre de phénomènes météorologiques extrêmes a augmenté dans de nombreuses régions du monde. La planète terre est en train de vivre les trois mois les plus chauds depuis le début des relevés, avec des températures de surface de la mer sans précédent. Le mois d‘août 2023 a été d’environ 1,5 °C plus chaud que la moyenne préindustrielle et les neufs derniers étés ont été les plus chauds depuis le début des relevés des données météorologiques. Malgré la phase de pluie froide en juillet, l‘été 2023 confirme malheureusement la hausse des températures climatiques. Cette situation entraîne des incertitudes toujours plus importantes des rendement des récoltes et de la qualité des produits agricoles. Les mesures opérationnelles d’adaptation aux changements climatiques, telles que l’irrigation, entraîneront une augmentation des coûts de production à long terme.

A l’échelle européenne, la sécheresse qui a précédé l’été a posé des défis considérables à la production végétale. A la mi-juin 2023, la région méditerranéenne occidentale a été frappée par une sécheresse encore plus grave qu’en 2022.  La Méditerranée orientale et l’Italie se sont plutôt bien rétablies après un début de printemps critique. Néanmoins, en Europe, les conditions de sécheresse en 2023 et 2022 ont été pires qu’en 2021, à l’exception du nord de la Scandinavie.

En août 2023, une sécheresse pré-estivale a été suivie d’un changement climatique sévère, rendant les activités de récolte difficiles en Europe. Les différents extrêmes météorologiques dans les régions pluvieuses et sèches ont entraîné des effets très différents sur les cultures d’été et d’hiver. De fortes pluies, des orages et des tempêtes de grêle ont causé des dommages considérables dans le nord de l’Italie, en Slovénie et en Croatie.

L’agriculture va devoir faire face à de grands défis:

  1. La gestion de l’eau doit être optimisée et de nouvelles stratégies de travail du sol doivent être développées.
  2. La sélection végétale devra mettre l’accent sur de nouvelles méthodes de culture et d’élevage.
  3. Le changement climatique exige des adaptations des assolements et une utilisation plus efficace des intrants.
  4. Globalement, il y aura un besoin croissant d’investissements pour s’adapter au climat.

Quelle est la situation sur les marchés agricoles ?

La situation sur les marchés agricoles mondiaux du blé se caractérise par une offre mondiale limitée, une activité commerciale réduite et des stocks moins importants que d’habitude. La consommation est supérieure à la production. Les baisses de production dans l’UE, en Chine et au Canada ne sont que partiellement compensées par des augmentations en Ukraine et au Kazakhstan. Cela signifie que les stocks des principaux exportateurs sont en baisse. Avec l’arrêt de l’accord sur les céréales de la mer Noire, les exportations de l’Ukraine restent inchangées à seulement 10,5 millions de tonnes.

La balance commerciale mondiale des céréales est presque équilibrée, même si les stocks sont toujours plutôt bas par rapport aux années précédentes. Les flux hors Chine montrent une légère détente. Actuellement, peu d’indicateurs permettent de percevoir une baisse des prix.

Le prix du blé au Matif a de nouveau baissé, après avoir été très élevé en raison de la spéculation et de l’incertitude au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il existe une grande incertitude quant à l’évolution future des prix – la commercialisation est donc une activité difficile à calculer pour les producteurs.

En 2023, les prix du lait sont partis d’un niveau très élevé et l’indice GDT du prix du lait en août est à son niveau le plus bas depuis cinq ans. Les prix à la production suivront cette évolution, ce qui aura au final également une influence sur le marché des techniques de fourrage vert.

Projets d’investissement actuels des entreprises en Europe

En août 2023, la DLG a interrogé plus de 2.300 agriculteurs européens dans le cadre d’une “Short Study Agrifuture Insights” sur le climat des affaires et leurs projets d’investissement. Les exploitations agricoles ont pour la plupart estimé que la situation de leur exploitation était bonne sur le plan économique, mais que l’environnement commercial futur était plutôt moyen. Dans l’élevage porcin, la situation actuelle des affaires est certes considérée comme positive en raison des prix élevés, mais un contexte stable fait défaut pour le développement des exploitations. Dans l’ensemble, il manque donc d’impulsions positives pour un climat d’affaires vraiment favorable.

Dans le secteur de l’élevage laitier, de nombreuses exploitations sont confrontées à un service de dette et des intérêts, plus élevés, après un investissement d’extension. En 2023, cela s’est traduit par une baisse des liquidités par rapport à l’année précédente, alors que les prix à la production en baisse.

Les agriculteurs et les éleveurs de porcs notamment, considèrent que les plus grands défis pour leur secteur d’activité sont la réglementation croissante et la politique agricole. Pour les agriculteurs, le changement climatique est considéré comme un défi tout aussi important, de même que l’augmentation des coûts des intrants et des terres arables. Dans le secteur de l’élevage, l’évolution future des taux d’intérêt semble avoir des répercussions sur les financements de suivi et sur les lignes de financement à court terme.

Où des investissements sont-ils prévus ?

Près d’une personne interrogée sur deux a déclaré vouloir investir dans un nouveau tracteur au cours des deux prochaines années. Dans le domaine du machinisme agricole “annexe”, l’intérêt des personnes interrogées se porte en particulier sur des technologies telles que l’agriculture de précision, l’automatisation, etc.

Quelles sont les innovations demandées dans le domaine des grandes cultures ?

Le thème de l’efficacité énergétique est au centre des préoccupations de tous les groupes interrogés, les coûts énergétiques ayant une influence considérable sur tous les chiffrages. L’intérêt supérieur à la moyenne pour les innovations dans le domaine des techniques d’épandage du lisier montre que le thème de la protection de l’environnement nécessite également davantage d’innovations technologiques.

Les technologies de l’agriculture intelligente et de précision bénéficient d’une grande attention avec l’augmentation des coûts des intrants. C’est là qu’interviennent les innovations qui optimisent leur consommation. Avec l’augmentation de la réglementation, les personnes interrogées souhaitent surtout mettre l’accent sur une utilisation efficace et ciblée des intrants et des ressources.

La protection mécanique des cultures fait de plus en plus partie des stratégies de culture agricole et remplace ou complète la protection chimique des cultures.

Le thème récurrent de l’interopérabilité et de la compatibilité entre les machines agricoles connectées est considéré comme beaucoup plus important par les personnes interrogées issues du conseil, de la recherche et de l’industrie que par les agriculteurs. D’après les réactions recueillies lors de l’enquête, ces derniers semblent se lasser lentement du sujet, car il faut beaucoup de temps pour que les résultats de la recherche soient mis en pratique de manière satisfaisante. Aujourd’hui encore, de nombreuses solutions ne fonctionnent que partiellement, il y a toujours des problèmes de regroupement et de traitement des données. Néanmoins, le “big data” et l’intelligence artificielle sont considérés comme des innovations futures, y compris pour l’agriculture.

De manière générale, les personnes interrogées espèrent davantage de solutions techniques innovantes dans des domaines qui sont de plus en plus réglementés, notamment dans le domaine phytosanitaire. Mais les personnes interrogées attendent également de la sélection végétale davantage de solutions innovantes pour l’adaptation au climat et aux maladies des plantes (résistances). Par rapport à ces thèmes, le développement de nouvelles technologies dans le domaine de la fertilisation est un peu moins prioritaire pour les personnes interrogées.

La nécessité d’innover dans le domaine des systèmes basés sur des capteurs et d’améliorer la gestion des données est jugée moins importante par les agriculteurs que par les personnes interrogées issues du conseil, de la science ou de l’industrie. Selon les retours, il faudrait former davantage les utilisateurs et la fonctionnalité pourrait souvent être améliorée.

L’intérêt pour de nouvelles solutions de protection mécanique des cultures est actuellement poussé en priorité par la politique, les praticiens voient donc aussi un besoin supérieur en développements dans ce domaine.

 

Évaluation des mesures vertes dans les cultures

Dans l’agriculture, de nombreuses “mesures vertes” sont déjà mises en œuvre afin d’utiliser efficacement les ressources et de s’adapter au changement climatique. Plus des deux tiers des personnes interrogées ont élargi leur assolement et près de 20 % prévoient de le faire. Plus de la moitié d’entre eux appliquent déjà des mesures pour économiser le diesel, et 40% supplémentaires prévoient de le faire. L’épandage d’intrants sur des surfaces partielles est déjà une pratique pour 38% des exploitations interrogées, 40% supplémentaires prévoient de le faire. Et pour un tiers d’entre eux, la gestion de l’eau est déjà un sujet important au quotidien, et pour 40%, c’est un sujet d’avenir.

Conclusion

Les exploitations agricoles européennes font déjà face aux effets du changement climatique ou s’y préparent. Plus de 90% d’entre eux prévoient d’investir dans de nouvelles technologies au cours des deux prochaines années. Ils essaient d’adapter leurs stratégies de gestion à l’augmentation des coûts des intrants, de les utiliser efficacement et de continuer à permettre une agriculture productive.

Avec son thème principal “Green Productivity”, le salon Agritechnica 2023 intégrera largement cette thématique dans son programme spécialisé et transmettra un savoir-faire pour la pratique grâce à de nombreux évènements, de discussion, des spotlights, des tables rondes, permettant ainsi de prendre des décisions parfaitement adaptées pour des investissements porteurs d’avenir.

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