Par terres de liens
une loi pour accélérer la fin du métier d’agriculteur
La loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » proposée par Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains et ancien président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, sera examinée en plénière à l’Assemblée nationale à partir du 26 mai. Sous couvert de simplification administrative et de soutien à la compétitivité, ce texte aggrave la trajectoire destructrice déjà engagée par la loi d’orientation agricole en mars dernier.
Une loi de dérégulation agricole à haut risque
Présentée comme une réponse aux alertes exprimées par une partie de la profession, la loi Duplomb repose sur une injonction contradictoire : demander aux agriculteurs de renouer avec la compétitivité en sacrifiant leurs sols, leur santé et les ressources naturelles dont dépend leur métier.
Ce nouveau texte s’emploie à faire croire que les difficultés des agriculteurs·trices proviennent des normes environnementales, alors qu’elles protègent la santé et les écosystèmes, donc la productivité future. L’écologie est prise comme bouc-émissaire par un sénateur qui provient de l’industrie agroalimentaire, et dont la proposition de loi frise le climato-scepticisme tant elle contrevient aux alertes univoques de la science.
Terre de Liens unit sa voix à celles des scientifiques, des ONG environnementales et des organisations agricoles et dénonce le contournement opéré par cette loi pour ne surtout pas traiter les problèmes de fond qui frappent les agriculteurs·trices :
- des revenus insuffisants,
- la répartition inégalitaire des aides de la PAC et des terres,
- la signature d’accords de libre-échange dévastateurs,
- ou encore l’absence de politique ambitieuse pour le renouvellement des générations agricoles.
Détruire pour produire ? Les sols ne s’en remettront pas
1000 ans. C’est le temps qu’il faut à la terre pour former 2 à 3 centimètres de sol fertile. Or en France, 60 % des sols agricoles sont déjà dégradés (source : INRAE, 2020). Si les sols mettent des siècles à se constituer, une simple décision politique peut suffire à les anéantir.
La proposition de loi Duplomb prévoit une série de mesures lourdes de conséquences comme la réintroduction de pesticides interdits (par exemple les néonicotinoïdes, dits “tueurs d’abeilles”) et leur épandage par drones, ou encore l’assouplissement des règles de captage d’eau (avec la multiplication des mégabassines en ligne de mire).
Ces dispositions placent les agriculteurs dans une impasse : foncer droit dans le mur, en polluant toujours plus leurs sols, compromettant la qualité et la quantité des rendements futurs.
Pesticides = rendements, la fausse promesse de Duplomb
Les chiffres opposent une réalité à laquelle le sénateur Duplomb semble sourd : après avoir stagné, les rendements agricoles sont aujourd’hui en baisse. La faute à un climat déréglé, dont l’agriculture est à la fois responsable et victime : 20% des émissions de gaz à effet de serre de la France proviennent des activités agricoles.
Selon l’INRAE, la stagnation des rendements du blé depuis les années 1990 s’explique en partie par le stress hydrique croissant, mais aussi par la pression accrue des ravageurs liée à des hivers plus doux. En 2015, les rendements du blé tendre ont ainsi chuté de 7 % (source : Agreste). Ce ne sont pas les protections environnementales qui freinent la production, mais bien les limites physiques des écosystèmes dégradés.
Faut-il par ailleurs rappeler que le parlement a voté en mars dernier une loi d’orientation agricole – une coquille vide – « en faveur de la souveraineté alimentaire » ? Pourtant la productivité telle que vantée par le sénateur Duplomb repose sur l’import massif d’engrais chimiques et d’énergies venus de l’extérieur. Quid de la souveraineté ?
Quant à la « lourdeur administrative », Terre de Liens constate que la loi Duplomb n’apporte aucune solution aux réels problèmes : formulaires, délais d’instruction, instabilité des règles. Une seule logique prime dans cette loi : supprimer les derniers garde-fous écologiques.
« Comment imaginer que l’agriculture française puisse être compétitive si nous sacrifions ces éléments fondamentaux que sont la santé des agriculteurs et la fertilité des sols ? » réagit Astrid Bouchedor, responsable du plaidoyer de Terre de Liens.
Des solutions à portée de main
Terre de Liens rappelle que la France ne parvient pas aujourd’hui à nourrir sa propre population, alors qu’elle dispose de suffisamment de terres agricoles. La faute à un système tourné vers la productivité pour l’export, qui met à mal les terres et le vivant.
C’est pourquoi nous appelons à une réorientation profonde des politiques agricoles, pour sortir d’une logique court-termiste et productiviste :
- Réorienter les financements de la PAC pour accompagner la transition agroécologique et mieux rémunérer celles et ceux qui s’y engagent ;
- Stopper la logique de la compétitivité sur la scène du commerce international, qui pousse à l’agrandissement des fermes au détriment de l’emploi et de la biodiversité ;
- Adopter une grande loi foncière qui garantisse un accès équitable à la terre, protège les sols et facilite l’installation à l’heure où les agriculteurs·trices partent massivement à la retraite et où 200 fermes disparaissent chaque semaine.