Les Membres du Conseil d’Administration de l’Organisation de Producteurs les Pêcheurs de Bretagne se sont réunis le 22 décembre à Quimper afin d’apprécier les résultats des négociations portant sur les opportunités de pêche pour 2024 décidées dans le cadre du Conseil des Ministres Agri-Pêche, et d’organiser les modalités de leur gestion. Cette année, au-delà des résultats chiffrés parfois catastrophiques, l’impréparation française et l’extrémisme du Commissaire Européen M. Sinkevicius ont démontré la stérilité d’un tel format de négociation et aggravé la crise de confiance entre les pêcheurs et leurs Institutions Européennes. Une nouvelle fois, l’ensemble de la filière constate que la mise en œuvre effective de la Politique Commune de la Pêche ne confère plus aucune protection aux pêcheurs, et s’interroge sur le futur de la pêche en France.
Des baisses intenables pour la filière
Pour les stocks dits partagés avec le Royaume-Uni depuis que le Brexit est devenu une réalité opérationnelle en 2021, les négociations pour le partage des opportunités de pêche sont conduites par la Commission Européenne. Les préaccords établis avant même le Conseil étaient déjà préoccupants : – 30% pour l’églefin de Mer Celtique, – 87% pour le lieu jaune de Mer Celtique et – 20% pour la sole de l’Ouest Bretagne. En définitive, aucune marge pour la négociation, les baisses ont été actées en l’état (cf. Annexe 1).
À l’image de la baisse de 7 % pour la sole du golfe de Gascogne acceptée sans aucune remise en question par les pêcheurs, la filière a abordé les négociations sur les stocks non partagés avec responsabilité. L’objectif des discussions était, pour les acteurs de la pêche, d’atténuer les baisses drastiques sur certaines espèces clés pour des centaines d’entreprises afin d’atteindre un équilibre indispensable à toute politique de développement durable : protection de l’environnement et protection du tissu économique et social. Les propositions de baisse de 41 % sur le merlan et de 53 % sur le lieu jaune du golfe mettaient en péril l’équilibre de toute la filière. Elles ont elles aussi été validées sans aucune concession. Pire, la situation sur le lieu jaune a encore été dégradée avec la fixation d’un quota de 500 tonnes uniquement sur le 1ersemestre, rendant impossible toute gestion organisée et rationnelle. Du jamais vu.
Pour Ludovic Le Roux, Président de l’OP, « le bilan global est désastreux. On nous parle de négociations mais ce à quoi on a assisté relevait plutôt de la sentence. Il n’y a eu aucune place pour l’échange, pour la prise en compte de nos situations socio-économique. Seul le curseur
environnemental l’a emporté. On se demande ce que cela donnerait si l’ensemble des filières étaient traitées ainsi ». Que ce soit sur le chinchard à queue jaune ou sur la sole d’Ouest Bretagne, aucune amélioration n’a été concédée en dépit d’une augmentation phénoménale des abondances et rendements depuis 2020. Les baisses sur le lieu jaune vont remettre en question la viabilité économique des entreprises dépendantes de cette ressource. Preuve de l’incapacité des décideurs français et européens à saisir les enjeux et mesurer les conséquences de leurs décisions, ce sont les petites pêcheries côtières aux hameçons, les rares à trouver grâce à leurs yeux, qui seront les plus impactées.
Un échec politique pour la France et l’Europe
Ce bilan catastrophique est à imputer à l’inexistence de l’action politique française pour défendre les entreprises qui constituent le maillage économique des littoraux. Cette défaite historique pour un Ministre français relève même de l’humiliation. Au regard de l’argumentation développée et de la réaction lunaire du Secrétaire d’État au sortir des négociations, accueillant de manière positive cette litanie de restrictions, les professionnels se demandent si la France est aujourd’hui en mesure de s’impliquer sérieusement dans la politique européenne de fixation des quotas de pêche. C’est à se demander si elle en comprend les fondements, contraintes et opportunités, et si elle a les capacités de mesurer avec lucidité et honnêteté les résultats obtenus.
Si le Commissaire Sinkevicius, grand artisan du Green Deal Européen, peut se targuer d’une victoire écrasante contre un grand pays européen, il restera dans les mémoires comme celui qui aura donné raison aux eurosceptiques. En assénant des décisions unilatérales et inflexibles qui entachent la confiance des marins dans leurs institutions, il se transforme en fossoyeur de la Politique Commune des Pêches. Consumée par un technocratisme déconnecté des réalités du terrain, le fonctionnement archaïque de la Commission Européenne interroge : les avis du CIEM sur lesquels elle se base étant disponibles depuis 6 mois, pourquoi compresser les discussions sur quelques jours en toute fin d’année, si ce n’est pour mettre le couteau sous la gorge des acteurs de la filière ?
En appliquant une politique dogmatique, le Commissaire Sinkevicius sert la soupe à tous ceux qui regardent le modèle du Brexit comme l’unique solution de se dépêtrer de ce système préhistorique. Cette faute, couplée à l’inaction de M. Berville, font que ce Conseil des Ministres 2023 restera gravé dans les mémoires comme « un jour de deuil pour les pêcheurs, la France, et l’Union Européenne » selon Ludovic Le Roux.
Au global, les résultats de ces négociations ne peuvent qu’interroger sur la place de la décision politique dans le cadre européen. La proportionnalité et surtout la rationalité ne semblent plus exister dès lors que l’on parle de biodiversité ou de protection de l’environnement. La justice environnementale, au travers des actions des ONG, criminalise les décisions politiques à grand renfort de recours, de référés et autres attaques en justice. Comment vouloir renforcer la souveraineté alimentaire en matière de pêche si les préoccupations environnementales gouvernent et imposent toute la prise de décision ? Loin de vouloir éliminer toute considération écologique du processus décisionnel, les professionnels de la mer militent pour une protection environnementale pragmatique donnant lieu à des échanges dans lesquels les recommandations des pêcheurs, premiers observateurs des milieux halieutiques, seraient pris en compte.
L’Organisation de Producteurs les Pêcheurs de Bretagne, l’une des plus importantes organisationo de roducteurs en Europe, appelle le gouvernement français et M. Berville à un sursaut d’orgueil et à un investissement réel pour que les ambitions de souveraineté alimentaire en matière de pêche ne demeurent pas un vœu pieux. Ils notent en ce sens qu’une déclaration politique a été adoptée par plusieurs pays dans le cadre de ce Conseil, portant précisément sur les aspects socio-économiques et la souveraineté alimentaire (cf. Annexe 2). Ils ne peuvent qu’espérer qu’elle sera pleinement déployée et réalisée dans le cadre de la prochaine mandature européenne.
À propos :
Les Pêcheurs de Bretagne est une organisation de producteurs (OP), structure reconnue au niveau européen par le Règlement UE n°1379/2013 portant organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des produits de la pêche et de l’aquaculture. En tant qu’OP, elle a pour objectif de « promouvoir l’exercice, par ses membres, d’activités de pêche viables et durables dans le respect […] des règles de conservation, et […] en participant également à la gestion des ressources biologiques marines ». Elle regroupe plus de 650 navires en France et représente plus de 2 000 marins, pour 8 500 tonnes de produits débarqués chaque année soit 330 millions d’euros de chiffre d’affaire. Ses adhérents exercent dans le golfe de Gascogne, la Mer Celtique, la Manche Ouest et le Nord Écosse et pratiquent le chalut, le casier, les lignes / palangres, le filet, la senne et la bolinche.
Annexes en pages 4 et 5
Annexe 1 : Évolution des principaux quotas de pêche 2023-2024 exploités par les adhérents de Pêcheurs de Bretagne. Résultats non présentés pour le maquereau, la langoustine du golfe et le merlan en Mer Celtique en raison de doutes sur les chiffres validés, ou de non pertinence pour la comparaison.
Stocks |
TAC 2023 |
TAC 2024 |
Evolution 23/24 % |
Commentaires |
Baudroies VII |
45724 |
48174 |
5,4 |
Quotas non limitants |
Baudroies VI |
4082 |
4082 |
0,0 |
Quotas non limitants |
Lingue Bleue V-VII |
10952 |
10972 |
0,2 |
Quotas non limitants |
Cabillaud VI |
1210 |
1392 |
15,0 |
Les quotas français seront au réel en diminution, du fait de cessions de quotas au Royaume-Uni |
Cabillaud VII |
644 |
644 |
0,0 |
Quotas limitants |
Aiguillat VI-VIII |
10889 |
11203 |
2,9 |
Quotas non limitants |
Eglefin VII |
11901 |
8252 |
-30,7 |
Non respect du plan de gestion européen, en vertu duquel la baisse aurait dû être limitée à 20% |
Merlu VI-VII |
46335 |
40599 |
-12,4 |
|
Chinchard II- XIV |
13400 |
13250 |
-1,1 |
Quotas limitants, maintien restrictions indues Chinchard Queue Jaune |
Cardine VII |
21348 |
21995 |
3,0 |
Quotas non limitants |
Cardine VI |
5499 |
6029 |
9,6 |
Quotas non limitants |
Lingue Franche VI-VII |
12371 |
10907 |
-11,8 |
|
Langoustine VII |
18353 |
18903 |
3,0 |
Quotas non limitants |
LNG VII Porcupine |
3787 |
4560 |
20,4 |
|
Plie VIIde |
6775 |
3930 |
-42,0 |
Diminution d’une ampleur rarement vue |
Plie VIIfg |
402 |
402 |
0,0 |
|
Plie VIIhjk |
132 |
132 |
0,0 |
|
Lieu jaune VII |
6410 |
832 |
-87,0 |
Statut pêche accessoire. Catastrophe pour les flottilles côtièrs |
Raie brunette VIIde |
3192 |
3974 |
24,5 |
|
Dorade Rose |
105 |
105 |
0,0 |
Quotas très limitants |
Sole VIIe |
1394 |
1184 |
-15,1 |
Quotas limitants |
Sole VIIfg |
1338 |
1267 |
-5,3 |
|
Sole VIIHJK |
213 |
170 |
-20,2 |
Quotas très limitants |
Raies VI-VII |
9797 |
9756 |
-0,4 |
|
Flétan Noir |
2571 |
2571 |
0,0 |
|
Lieu Noir VI |
5538 |
6939 |
25,3 |
|
Merlu VIII |
31422 |
27532 |
-12,4 |
|
Baudroies VIII |
12252 |
12907 |
5,3 |
quotas non limitants |
Cardines VIII |
2111 |
2175 |
3,0 |
quotas non limitants |
Sole VIII |
2685 |
2489 |
-7,3 |
|
Lieu Jaune VIII |
1482 |
500 |
N/A |
TAC uniquement valide pour le 1er semestre. Catastrophe flottilles côtières |
Raies VIII |
5519 |
5576 |
1,0 |
|
Raie brunette VIII |
33 |
33 |
0,0 |
Quotas très limitants |
Merlan VIII |
2276 |
1347 |
-40,8 |
Catastrophe pour les flottilles côtières |
Annexe 2 : Déclaration politique des Pays-Bas, de la France, de l’Italie, du Danemark et du Portugal dans le cadre de l’adoption des possibilités de pêche 2024.