lun. Déc 30th, 2024

Dans la Vienne, en organisant le transfert d’une méga-ferme contrôlant plus de 2000 hectares, l’État et la SAFER soutiennent la concentration et la financiarisation de l’agriculture française en tournant le dos au soutien affiché au renouvellement des générations en agriculture. Alors que s’ouvre la concertation sur une future loi d’orientation agricole, Terre de Liens, AGTER, l’Atelier paysan, la Confédération paysanne, les Amis de la Terre et France Nature Environnement appellent l’État à s’attaquer à l’affaiblissement de la régulation de l’accès aux terres et à considérer cet accès comme une question centrale de la future loi.

 

Une opération hors-norme cautionnée par l’État et la Safer
Avec le blanc-seing de l’État, la Safer Nouvelle Aquitaine s’est positionnée comme intermédiaire pour la vente d’une méga-ferme exploitant 2121 hectares de grandes cultures pour l’« installation » de trois agriculteurs au sein d’une même société en cours d’immatriculation. Ces installations explosent les seuils censés réglementer la taille des exploitations agricoles définis dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Elles représentent 7 fois la surface nécessaire à la viabilité économique d’une entreprise agricole et 4 fois le seuil d’agrandissement excessif, au-delà duquel une ferme est considérée comme trop grande.
Cette méga-ferme est en fait le regroupement de 12 sociétés d’exploitation. Le passage par la Safer exonère de plus chacune de ces 12 sociétés de déposer une demande d’autorisation d’exploiter. Par ailleurs, ce montage pourrait permettre à cette méga-ferme de détourner l’esprit de la PAC en touchant l’aide aux 52 premiers hectares douze fois ! Ainsi l’État et la Safer cautionnent aujourd’hui une opération qui transgresse tous les objectifs de politique agricole définis par la puissance publique en région Nouvelle Aquitaine, en France et en Europe.

 

Des agrandissements sous couvert d’installation.
Le rôle de la SAFER en question…
Dans le contexte de cette opération, le terme « d’installation » apparaît tout à fait contestable, deux des agriculteurs ayant déjà au préalable une activité agricole dans l’Eure à plus de 300 km. Ainsi, cette opération pourrait même cacher l’agrandissement d’une ferme de l’Eure qui contrôle déjà 1500 ha, via notamment 3 autres sociétés d’exploitation. Si c’était le cas, nous verrions la constitution d’un mastodonte agricole contrôlant plus de 3500 hectares. Difficile de croire qu’une telle exploitation produira une alimentation locale de qualité.
Censée favoriser les installations et lutter contre l’agrandissement excessif des exploitations, la Safer aurait dû refuser la vente d’un seul bloc, condition posée par le vendeur. Au contraire, elle aurait pu chercher avec les acteurs locaux à restructurer la ferme pour assurer des installations bien plus nombreuses (27 possibles selon le SDREA). Nos organisations s’interrogent sur ses missions de service public dans une telle opération.

Le leurre de la compensation et de la loi Sempastous
La SAFER avance avoir obtenu en contrepartie de son intermédiation la restitution de 40 ha dans la Vienne (dont 30 à court terme et 10 à moyen terme) et le renoncement à un projet de reprise de 30 hectares dans l’Eure. Pour une exploitation qui dépasse de plus de 1500 hectares le seuil d’agrandissement excessif, cela paraît absolument ridicule !
Pire, dans la loi Sempastous votée en 2021 et dont le dernier décret d’application n’a été publié que le 4 décembre dernier, les Safer sont missionnées pour négocier des compensations pour les ventes de sociétés contrôlant des surfaces trop importantes. Si elles s’alignent à l’avenir dans leur pratique sur cette opération, autant dire que leur mission de contrôle sera inefficace. C’est malheureusement ce que nos organisations, anticipaient déjà lors du vote de la loi Sempastous l’année dernière.

La loi d’orientation agricole ne pourra pas ignorer la question
des terres
L’opération de la Vienne calquée sur le fonctionnement de la loi Sempastous illustre parfaitement les failles du système de régulation en France. Cette tentative d’encadrement des ventes de parts de société contrôlant des terres est déjà « mort-né », nécessitant au minimum sa révision en profondeur. Ces dix dernières années, l’agriculture a perdu 80 000 actifs. Un véritable plan de liquidation de l’agriculture qui amène à brader notre souveraineté alimentaire et à industrialiser toujours plus l’agriculture française. L’installation agricole et le renouvellement des générations ont été déclarés comme priorités du nouveau ministre de l’agriculture. Ce dernier a même promis une Loi d’orientation agricole pour traiter cette cause majeure. Dans ce contexte, le gouvernement ne pourra ignorer la question de l’accès aux terres qui doit être une des pierres angulaires de toutes les politiques agricoles. La nouvelle loi devra notamment mener à un renforcement drastique de la régulation de l’accès aux terres, notamment de la loi Sempastous, pour espérer ne pas aller vers une agriculture sans agriculteurs.

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