1. Pouvez-vous nous présenter brièvement votre entreprise et son histoire pour que nos lecteurs comprennent votre contexte ?
Via Caritatis est le vignoble de l’abbaye bénédictine du Barroux et l’héritier du premier vignoble pontifical planté en vallée du Rhône par Clément V en 1309. Le domaine de l’abbaye, cultivé par les moines, s’étend sur les terroirs d’altitudes entre les dentelles de Montmirail et le mont Ventoux. Conscients du haut potentiel de leurs terroirs de montagne qui s’élèvent entre 350 et 700 mètres et des difficultés de leurs voisins vignerons qui n’arrivaient pas à valoriser leurs récoltes en raison des coûts de production élevés, les moines ont renoué depuis 2015 avec une tradition monastique millénaire qui associe dans un même labeur les hommes de Dieu et les petits vignerons voisins pour permettre à ces derniers de faire de grands vins avec les moines et partant d’être rémunérés au prix juste de leur travail.
2. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le Business Model (BM) de votre entreprise et comment il s’inscrit dans votre stratégie globale ?
L’objectif vise à rendre hommage aux vignerons de la montagne en leur permettant de participer à une grande œuvre par la réalisation de vins de haute couture et d’obtenir ainsi une rémunération juste de leur travail.
Se basant sur leur propre expérience de la viticulture de montagne, les moines ont estimé que, pour être suffisants, les revenus d’un vigneron dans cette région devraient se situer autour de 8000€/hectare. Aujourd’hui, ceux qui vendent leurs raisins au prix des mercuriales du Ventoux peuvent compter sur une rémunération de moins de 5000€/hectare, qui est insuffisante pour leur équilibre économique.
Forts de ce constat, ils ont décidé de faire appel à d’excellents professionnels (notamment à Philippe Cambie, reconnu meilleur œnologue du monde par R. Parker en 2010 et décédé en 2021) pour réaliser un travail de haute précision au vignoble et produire de grands vins.
Concrètement, moines et vignerons effectuent chacun leur travail au vignoble dans les plus hautes exigences. Les cuvées sont ensuite élaborées en intégrant le parcellaire des moines et les parcellaires de plusieurs vignerons, minutieusement sélectionnés en fonction de leurs qualités propres. Certaines cuvées restent cependant le fruit unique du travail des moines et des moniales mais elles ne sont pas vendues séparément.
Cette collaboration permet aux vignerons de bénéficier d’une juste rémunération à la hauteur de la qualité des vins qu’ils contribuent à produire et permet notamment de stabiliser l’emploi agricole dans la région.
3. En parlant de votre savoir-faire, quelles sont les compétences ou les atouts clés qui distinguent votre entreprise sur le marché ?
La force de notre entreprise réside dans la diversité de sa composition. D’abord entreprise monastique, elle puise son inspiration dans quinze siècles d’histoire et dans le génie créatif des moines qui sont à l’origine de tous les grands vignobles. Leur puissance de travail, leur approche originale de l’activité humaine qui n’est pas une fin en soit mais un moyen de rendre un culte à Dieu et leur vision désintéressée de l’économie qui met l’humain au centre des préoccupations, confère à notre entreprise un génie qui lui est propre. Ensuite, cette entreprise est le fruit d’une collaboration entre les moines et leurs vignerons partenaires, lesquels sont en quelque sorte l’âme de notre terroir. Leur savoir-faire, leur connaissance ancestrale de la terre et la diversité de leurs terroirs permet de jouer sur une gamme très variée d’expressions pour créer des vins d’une grande finesse. Enfin, on peut dire que les terroirs d’altitude de cette région montagneuse située entre dentelles et Ventoux font aussi partie de l’ADN de l’entreprise et lui confèrent une identité unique.
4. Pourriez-vous nous donner un aperçu des évolutions récentes au sein de votre société et des objectifs à court et long terme que vous poursuivez ?
L’alliance des moines et des vignerons sous la bannière de Via Caritatis est née en 2015. depuis, la production a été multipliée par 10 mais le potentiel de développement est encore énorme. Afin de valoriser la totalité des terroirs des vignerons partenaires de Via Caritatis, les objectifs de développement visent encore une multiplication de la production par 4. En parallèle des processus ont été mis en place pour maintenir et si possible améliorer encore la qualité de nos crus.
5. Quels projets avez-vous en cours ou prévoyez-vous de mettre en œuvre prochainement, et comment cela contribuera-t-il au développement de votre entreprise ?
Les projets actuels se concentrent principalement sur le développement du réseau commercial à travers la participation à des événements tels que des salons internationaux, le renforcement de notre force commerciale et la présentation de nos vins aux critiques internationaux. Ces projets permettent un développement rapide de notre notoriété grâce à une visibilité accrue et une reconnaissance de la qualité de nos vins par les experts au niveau mondial.
6. Pourriez-vous nous parler des produits ou innovations les plus récents que votre entreprise a lancés ou prévoit de lancer dans un proche avenir ?
Via Caritatis a lancé une large gamme d’une douzaine de cuvées en l’espace de 5 ans. Ces cuvées offrent une grande variété d’expressions de terroir avec une gamme de prix étendue. Le projet de création d’une cuvée unique à forte identité pour attaquer des marchés complémentaires est à l’étude. Elle devrait voir le jour dans les prochains mois.
7. Enfin, pour aborder la transition écologique, comment votre entreprise s’engage-t-elle dans des pratiques durables et quelles initiatives avez-vous prises pour minimiser votre impact sur l’environnement ?
Fidèles à leur vision de l’Homme comme “gardien de la Création”, les moines cherchent à agir avec discernement et humilité pour trouver les réponses les plus respectueuses de la vie dans sa globalité.
C’est la raison qui les a poussés à entamer une conversion Bio en 2015 avant d’abandonner la revendication de ce label, tout en conservant les principaux éléments de cette approche.
Ils ont pris cette décision après avoir fait le constat que le cahier des charges de l’agriculture Bio ne répondait pas toujours le mieux aux problématiques de leur territoire. Par exemple, contre la Cicadelle porteuse de la flavescence dorée, une maladie très virulente, le bio préconise le Pyrèthre naturel, un insecticide fabriqué en Afrique dans des conditions discutables qui n’est pas du tout un produit anodin : très peu sélectif, il éradique largement les insectes présents dans la parcelle. Il est également dangereux pour l’utilisateur. Ce produit a beau ne pas être une molécule de synthèse, ses effets sont ravageurs et il est de ce point de vue totalement anti-écologique alors qu’il existe un autre produit beaucoup plus sélectif (qui ne tue que l’insecte incriminé) mais qui n’est pas homologué Bio.
Autre exemple, l’obligation d’utiliser systématiquement des produits de contact, c’est-à-dire des produits qui se diluent à la pluie. Le vigneron bio qui voit arriver la pluie est obligé d’aller traiter ses vignes alors qu’il sait que tous les produits pulvérisés seront précipités dans le sol quelques heures après – donc rendus inefficaces et qui plus est polluant le sol – mais il n’a pas le choix car c’est sa seule parade contre la maladie. Enfin, pour les mêmes raisons, les produits de contact obligent de traiter ses vignes plus souvent et donc aggrave l’impact du bilan carbone. Un dernier exemple : celui de la bouillie bordelaise à base de cuivre entraîne une accumulation de cuivre dans les sols et conduit à leur stérilisation.
Aussi, les moines ont adopté toutes les pratiques bio qui leur semblaient pertinentes mais se réservent la liberté d’agir de la façon qui leur paraît la plus en phase avec leur objectif de respecter au mieux l’environnement et les hommes qui y travaillent. Pour cela ils échangent et travaillent régulièrement par des techniciens compétents.
Dans l’écosystème montagnard de Via Cariatis, le vignoble de l’abbaye est une sorte d’observatoire où l’on rechercher les pratiques qui peuvent être raisonnablement mise en œuvre pour obtenir des produits de qualités dans le respect de l’environnement. Par exemple, nous travaillons beaucoup sur la vie des sols grâce à l’apport de matière organique, nous privilégions les mesures prophylactiques (rehaussage des palissages, ébourgeonnage, effeuillage, réduction de la charge de raisin, etc.) tout cela pour favoriser l’aération du végétal et limiter les maladies, nous effectuons un travail du sols mécanique même sous les ceps (passage à la charrue avec interceps) pour éviter les désherbants. Nous favorisons également la polyculture sur les terres de l’abbaye ainsi que dans le reste de la région. Nos rendements sont limités pour réduire les maladies et respecter le rythme de la nature et nous choisissons des produits phytosanitaires avec le moins d’impact sur l’environnement. Nous essayons aussi de nous adapter à chaque millésime car les conditions météo varient considérablement d’une année à l’autre et entraînent des problématiques différentes. Mais après toutes ces années nous restons modestes car il n’y a pas de réponse catégorique à ces questions.