Assemblée nationale
Les revendications portées par le monde paysan dans plusieurs pays européens, et qui s’expriment avec force en France en ce début d’année 2024, rappellent la priorité politique que constitue le renforcement de la souveraineté alimentaire européenne. L’Europe ne sera pas en mesure de conserver cette autonomie si les agriculteurs et les pêcheurs qui la nourrissent ne parviennent pas à vivre dignement de leur métier.
À l’issue d’un cycle d’auditions associant l’ensemble des parties prenantes et de déplacements à Bruxelles et aux Pays-Bas, les rapporteurs font le constat d’une souveraineté alimentaire européenne préservée. Ce diagnostic, fondé sur l’étude du taux d’auto-approvisionnement de l’Union pour une série de produits agricoles, démontre que nos indicateurs sont majoritairement au vert. La dépendance est, en revanche, plus marquée pour les protéines végétales utilisées pour l’alimentation animale, les intrants consommables et les produits de la mer.
Les conséquences de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine sur nos chaînes d’approvisionnement témoignent de la pertinence de l’échelon européen pour appréhender, contrôler et corriger nos dépendances externes en matière alimentaire. Au-delà de ces chocs conjoncturels, les rapporteurs constatent que le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité constituent la principale menace sur la pérennité de nos systèmes agricoles et alimentaires à long terme.
Compte-tenu des atouts et des fragilités de l’Union, les rapporteurs formulent vingt‑sept propositions communes afin de renforcer la souveraineté alimentaire européenne. Celles-ci se veulent opérationnelles et couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur agricole et alimentaire – de la production à la consommation, en passant par les échanges internationaux.
Certaines recommandations sont d’ores et déjà présentes dans le débat public, telles que le rééquilibrage des aides de la politique agricole commune (PAC) au bénéfice des petites et des moyennes exploitations, ainsi que l’introduction de mesures « miroirs » dans les législations sectorielles de l’Union pour lutter contre la concurrence déloyale de pays tiers. En particulier, la transition du modèle agricole européen ne sera pas soutenable sans un réexamen profond de la politique commerciale de l’Union. La conclusion d’accords de libre‑échange susceptibles de fragiliser nos filières agricoles, tels que l’accord avec le Mercosur, est aujourd’hui inenvisageable.
Les rapporteurs appellent à compléter la boîte à outils de l’Union et des États membres, en les dotant d’instruments innovants pour satisfaire durablement, en quantité et en qualité, les besoins alimentaires de nos concitoyens. Il est notamment proposé d’étendre l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) au niveau européen pour protéger les terres agricoles, de mieux mobiliser la commande publique au profit de la transition de nos modes de consommation et de déployer un véritable « Erasmus agricole » pour améliorer la formation aux métiers du vivant.
S’ils partagent tous deux les objectifs généraux du Pacte vert et la nécessité de poursuivre la transition agroenvironnementale, les rapporteurs portent une appréciation différente de la temporalité et des conditions de mise en œuvre de cette trajectoire. À cet égard, le rapporteur M. Charles Sitzenstuhl estime que l’évolution des pratiques agricoles ne peut être que progressive, tandis que le rapporteur M. Rodrigo Arenas plaide pour une transformation profonde et urgente du modèle productif actuel.
En revanche, tous deux insistent sur l’indispensable acceptabilité professionnelle et sociale des mesures destinées à renforcer la souveraineté alimentaire à moyen et long termes. Tel est le cas de la réduction de l’utilisation des pesticides, qui dégrade la santé des sols, des agriculteurs et des consommateurs. Les moyens consacrés, en France et en Europe, à la recherche, au développement et au déploiement de solutions alternatives doivent être à la hauteur des enjeux.
Mercredi 14 février 2024, MM. Charles Sitzenstuhl (RE, Bas-Rhin) et Rodrigo Arenas (LFI-NUPES, Paris), présenteront leurs travaux de rapporteurs de la mission d’information sur la souveraineté alimentaire européenne. Ce rapport d’information sera présenté le même jour en commission des affaires européennes.