dim. Nov 17th, 2024

L’évaluation 2022 affiche un bilan en demi-teinte. En France hexagonale, la part des débarquements issus de populations de poissons exploitées durablement stagne et s’établit à 51 % en 2021, contre 48 % en 2020 suite à la révision des chiffres de l’an dernier. Pour la première fois, l’Ifremer a élargi son diagnostic aux 5 départements d’Outre-mer. Il révèle des réalités très contrastées d’un département à l’autre.

Focus Science : comment la science évalue-t-elle les impacts de la pêche sur les fonds marins ? L’exemple de la Manche

D’ici 2030, l’État français s’est engagé à placer un tiers, soit 10%, de ses aires marines sous protection forte. Cet objectif implique d’y adapter les activités humaines, et notamment la pêche, afin de trouver le bon équilibre entre préservation de la biodiversité et exploitation durable des ressources. Pour accompagner cette transition, plusieurs équipes de l’Ifremer s’attachent à étudier et mesurer les impacts des engins sur les fonds marins, à analyser leurs conséquences sur les habitats et les écosystèmes, et à élaborer des mesures de remédiation.

Dans le cadre de la récente étude  « Impact des engins de Pêche sur les fonds marins et la Résilience Écologique du Milieu » (IPREM) initiée par le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Normandie, l’Organisation des pêcheurs normands et l’organisation de producteurs From Nord, des scientifiques de l’Ifremer et de l’Université de Caen ont qualifié et quantifié les impacts de la pêche aux engins traînants sur les écosystèmes des fonds marins de la Manche.

L’amélioration de leur état écologique depuis les années 2000 se confirme-t-elle encore cette année ? Quelles sont les espèces « en bon état » ? Lesquelles a contrario sont surexploitées ? Au-delà de la France hexagonale, quel est l’état des principales populations pêchées dans les 5 départements d’outre-mer ? Toutes ces questions sont autant d’enjeux majeurs pour la France, troisième pays de l’Union européenne en termes de volume de poissons capturés, derrière le Danemark et l’Espagne. Tendre vers une pêche plus durable implique aussi de relever un autre défi qui anime depuis longtemps les discussions entre pêcheurs, gestionnaires, ONGs et politiques, et plus encore depuis l’annonce du renforcement prochain de la protection de certaines aires marines protégées (AMP) : comment concilier pêche de fond et préservation des écosystèmes marins ? Cette question stimule de nombreux travaux de recherche à l’Ifremer pour mesurer les impacts des engins sur les fonds marins, analyser leurs conséquences sur les habitats et les écosystèmes, mais aussi pour élaborer des mesures de remédiation.

 

Le bilan 2022 montre que 51 % des 327 000 tonnes de poissons débarqués dans l’hexagone en 2021 proviennent de populations exploitées durablement, contre 48 % en 2020. La surpêche touche quant à elle 23% des volumes pêchés, et 2 % proviennent de populations considérées comme « effondrées ».

Conclusions des évaluations 2022


Evolution de l’état des populations de poissons exploitées en France hexagonale entre 2000 et 2021. Les chiffres de 2020 ont été révisés lors de l’évaluation 2022.

 

 

44 % des débarquements proviennent de populations de poissons en bon état : pour ces populations, la pression de pêche et la biomasse sont estimées être compatibles avec l’objectif de . La proportion des débarquements venant de populations en bon état varie en fonction des façades entre 37 et 54 %, à l’exception de la Méditerranée pour laquelle seule la population de rouget est considérée en bon état.

7 % proviennent de populations reconstituables ou en reconstitution : pour ces populations, la pression de pêche est estimée conforme à celle permettant le rendement maximal durable. Mais la biomasse de reproducteurs est encore inférieure à cet objectif (« populations reconstituables »), ou alors cet objectif n’est pas défini (« populations en reconstitution »).

12 % proviennent de populations surpêchées : leur biomasse de reproducteurs est aujourd’hui à un niveau compatible avec le rendement maximal durable. Mais la pression de pêche est encore trop élevée et risque de conduire à une baisse des populations si elle ne diminue pas.

11 % proviennent de populations surpêchées et dégradées : il s’agit des populations surpêchées (pression de pêche supérieure au rendement maximal durable), pour lesquelles la biomasse de reproducteurs est inférieure à celle permettant le rendement maximal durable.

2 % proviennent de populations effondrées : la quantité de reproducteurs est insuffisante pour le renouvellement de ces populations, sans pour autant que cela conduise à l’extinction de l’espèce. Le risque est plutôt l’arrêt de l’activité de pêche du fait d’une rentabilité non assurée ou de mesures de gestion très restrictives.

5 % proviennent de populations non classifiées : le niveau actuel des connaissances ne permet pas de fixer les seuils de durabilité ou d’effondrement pour ces populations.

19 % proviennent de populations non évaluées : ces populations ne font pas l’objet d’un suivi scientifique régulier. Leur proportion varie en fonction des façades maritimes : elle atteint 54 % en Méditerranée et 26 % dans le Golfe de Gascogne.

Les chiffres des évaluations précédentes sont recalculés chaque année

À chaque nouvelle évaluation, les scientifiques intègrent les données de l’année la plus récente et revisitent les estimations des années antérieures pour être au plus proche de la réalité. Ces révisions font partie du processus scientifique établi. Elles peuvent conduire à réviser le statut de l’état d’une population de poissons estimé l’année précédente, et ce, d’autant plus que les indicateurs (biomasse et pression de pêche) sont proches des seuils de référence du rendement maximum durable. À quelques tonnes près, certaines populations peuvent ainsi basculer d’un état à un autre. Lorsque les révisions de statut concernent des populations qui constituent une part importante des débarquements, comme c’est le cas dans cette évaluation 2022, la vision globale peut être fortement affectée.

Dans le bilan précédent, la part des populations exploitées durablement en 2020 était ainsi estimée à 56 %. Ce chiffre a été revu à la baisse dans le cadre de l’évaluation 2022 : de 56 %, il a été révisé à 48 %, du fait, principalement, de la révision du statut du maquereau de l’Atlantique Nord-Est. Cette population qui a contribué à environ 7 % des débarquements totaux en 2020 est en effet passée de « en bon état » à « surpêchée ».

L’amélioration marque le pas et nous met face au défi de la durabilité

Si l’état des populations pêchées dans l’hexagone s’est largement amélioré en 20 ans, le bilan 2022 montre une stagnation depuis 5 ans des volumes de poissons débarqués provenant de populations en bon état, et ce bien que le nombre de populations en bon état continue d’augmenter. Avec un quart des débarquements provenant de populations surpêchées, d’importants efforts doivent encore être accomplis pour espérer se hisser au niveau des objectifs fixés par la Politique commune de la pêche et qui sont encore loin d’être atteints.

« L’évaluation 2022 affiche un bilan moins optimiste que celui de l’an dernier, annonce Alain Biseau, biologiste des pêches à l’Ifremer et membre du comité d’avis du CIEM (Comité international pour l’exploration de la mer). La part des volumes de poissons débarqués issue de populations exploitées durablement évolue très lentement depuis 2017, même si le nombre de populations non surpêchées quant à lui continue d’augmenter. Il est passé de 56 en 2017 à 72 en 2021 ».

Cet apparent paradoxe s’explique, d’un côté, par la dégradation de l’état des populations de maquereau, une espèce qui contribue de manière importante aux volumes pêchés et, d’un autre côté, par le fait que les pêcheurs ont moins puisé dans les populations en bon état comme le merlu. Il faut savoir que, globalement, 95% des volumes de poissons débarqués dans l’hexagone reposent sur une cinquantaine d’espèces de poissons, crustacés et mollusques. Des petites variations des volumes de ces espèces très pêchées suffisent ainsi à impacter fortement les chiffres de ce bilan

Cette stagnation qui perdure laisse présager qu’il sera difficile d’atteindre dans un futur proche l’objectif de 100 % des populations pêchées au niveau du rendement maximum durable (RMD) fixé par la Politique commune de la pêche.

Alain Biseau
Biologiste des pêches à l’Ifremer
Membre du comité d’avis du CIEM (Comité international pour l’exploration de la mer)

Des populations surpêchées ou effondrées il y a quelques années comme le merlu du golfe de Gascogne et de la mer Celtique ou encore le thon rouge de Méditerranée et de l’Atlantique se portent désormais bien. L’églefin de la mer du Nord et de l’Ouest de l’Écosse, surpêché en 2020, a retrouvé un bon état en 2021. Mais force est de constater que près du quart des populations pêchées peinent toujours à se rétablir et demeurent surexploitées.

« Cette stagnation qui perdure laisse présager qu’il sera difficile d’atteindre dans un futur proche l’objectif de 100 % des populations pêchées au niveau du rendement maximum durable (RMD) fixé par la Politique commune de la pêche », souligne-t-il. Il en va de même pour l’objectif de la Directive-cadre sur le milieu marin (DCSMM) qui préconise le retour au bon état écologique de l’ensemble des populations halieutiques.

Pour que la courbe continue son ascension favorable, il est nécessaire de mieux comprendre quels facteurs biologiques et environnementaux, mais aussi socio-économiques et politiques, contribuent à la stagnation observée actuellement. Certaines populations, comme la sole du golfe de Gascogne par exemple, ne se portent pas mieux alors que les quotas de pêche octroyés depuis 6 ans respectent les avis scientifiques. Le nombre de jeunes poissons est toujours en forte diminution pour des raisons encore mal comprises.   

« Soumis à de multiples pressions naturelles et anthropiques, l’océan est un milieu complexe qui change très vite. Dans ce contexte, connaître la réalité de l’état des populations de poissons reste un défi. Nous devons poursuivre nos efforts et tendre plus encore vers une approche « écosystémique » des pêches, explique Alain Biseau. Cela passe par une meilleure compréhension des interactions des populations entre elles et avec leur environnement, ainsi que des effets des pressions humaines et du changement climatique sur leur dynamique ». En 2021, par exemple, une étude de l’Ifremer avait confirmé que la baisse de la taille des sardines observée depuis le milieu des années 2000 en Méditerranée était liée à l’évolution de leur nourriture et de l’environnement du golfe du Lion.

Ce n’est qu’au prix de ces progrès de connaissances que les scientifiques pourront encore mieux anticiper l’évolution des principales populations exploitées en fonction de différents scénarios de gestion et des sources de pression autres que la pêche, et ainsi déterminer plus précisément les niveaux de prélèvements compatibles avec un objectif de pêche durable.

« Parvenir à une pêche durable implique d’atteindre puis de maintenir un taux d’exploitation qui permette de maximiser durablement les captures sans affecter le renouvellement de la biomasse des populations de poissons, rappelle Alain Biseau. Ce taux d’exploitation est la « cible » fixée par les politiques européennes. Pour être certain de ne pas le dépasser, et en considérant les variations environnementales d’une année sur l’autre et la part d’incertitude inhérente aux estimations scientifiques, une option pourrait être de « viser » en-dessous, autrement dit de diminuer plus encore la pression de pêche pour aider les populations à recouvrer un bon état. Cela contribuerait à stabiliser les captures et à renforcer la résilience des populations face aux changements globaux »

Par L’Ifremer

https://ec.europa.eu/fisheries/cfp_fr

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